Il s’agit d’un film documentaire de 52 minutes réalisé par Nicolas Éprendre. Les images sont de Nicolas Rideau, le montage de Christine Bouteiller et la musique d’Olivier Cahours, coproduit par Vosges Télévision Image Plus avec la participation de TLSP, le soutien du CNC et du Pôle Image Haute Normandie. Il est sorti le 17 septembre 2012.
Ce film anime le parcours et l’œuvre d’Élisée Reclus, géographe et anarchiste français (1830-1905). Il fait le portrait d’une personnalité peu banale, tout à la fois grand voyageur, scientifique reconnu et homme de conviction. Les photographies de Nadar qui y sont présentées nous transmettent un regard plein de bonhomie et d’acuité.
Ce qui demeure de l’œuvre du géographe Élisée Reclus (1830-1905), c’est un élan passionné vers le monde. Le documentaire en restitue l’ampleur et les mouvements ; il ne fallait pas moins d’une écrivaine (Hélène Sarrasin), de deux géographes (Philippe Pelletier et Federico Ferretti) et d’un poète (Kenneth White) pour en tracer l’esquisse.
Nicolas Éprendre s’appuie également sur des œuvres et des archives personnelles de Reclus, dont la lecture d’extraits illustre les qualités littéraires ainsi que l’aspect sensible, charnel, de son travail. Telles ces dernières lignes, célèbres, de l’Histoire d’un ruisseau : « Chaque génération qui périt est suivie par une génération différente, qui, à son tour, donne l’impulsion à d’autres multitudes. Les peuples se mêlent aux peuples comme les ruisseaux aux ruisseaux, les rivières aux rivières ; tôt ou tard, ils ne formeront plus qu’une seule nation, de même que toutes les eaux d’un même bassin finissent par se confondre en un seul fleuve. L’époque à laquelle tous ces courants humains se rejoindront n’est point encore venue : races et peuplades diverses, toujours attachées à la glèbe natale, ne se sont point reconnues comme sœurs (…). Les peuples, devenus intelligents, apprendront certainement à s’associer en une fédération libre : l’humanité, jusqu’ici divisée en courants distincts, ne sera plus qu’un même fleuve, et, réunis en ce seul flot, nous descendrons ensemble vers la grande mer où toutes les vies vont se perdre et se renouveler. » Et les cours d’eau de constituer la métaphore filée du documentaire.
Les deux passions de Reclus s’unissent : celle de la terre qui le fit géographe, celle des hommes, qui le fit anarchiste. Toute sa vie, en effet, il fut porté par l’anarchie, idéal politique conçu comme celui des « hommes libres et égaux dans une société sans lois et sans autorité », dont il demeure l’une des icônes. Cette dimension politique est soulignée dans le film, qui – dans une mise en scène où un acteur (Carlo Brandt) incarne le personnage – s’ouvre sur ces mots : « Voter, c’est abdiquer », et s’achève sur une ode à la liberté et à la justice.
Le film rappelle que Reclus s’est toujours battu contre l’esclavage et le colonialisme. L’épisode de la Commune de Paris (mars-mai 1871) tient une place importante : Reclus, après s’être engagé dans la Garde Nationale, est emprisonné et condamné à la déportation en Nouvelle Calédonie – la peine est finalement commuée en bannissement grâce à une pétition de scientifiques. Il s’installe alors en Suisse où, tout en continuant à voyager, il se consacre intensément à l’animation du réseau anarchiste international et, surtout, à l’édification d’une Nouvelle Géographie Universelle (dix-neuf volumes, publiés entre 1876 et 1894), grâce à un réseau de correspondants. Élisée Reclus terminera sa vie à Bruxelles en 1905, après avoir créé l’Université Nouvelle de Bruxelles et une chaire de géographie.
Le film présente avec bonheur quelques-unes des innombrables cartes (du cartographe Charles Perron) de ce grand œuvre conservées à la bibliothèque de l’Université de Genève ; les annotations à l’encre noire dans leurs marges, témoignent du souci constant de rigueur de Reclus. Pour ce bourreau de travail en effet, il « ne suffit pas de comparer les hommes au sable des grèves ou aux vagues de l’Océan, il importe de mesurer exactement l’espace qu’ils occupent ». Ses vues et conceptions de la géographie, larges et généreuses (Yves Lacoste parle d’une « bienveillante géopolitique »), allaient des milieux naturels aux frontières politiques, vues comme des conventions appelées à être un jour dépassées.
Au final, le documentaire présente, avec beaucoup de maîtrise, « l’excentricité au sens littéral de ce géographe populaire » et donne envie d’en approfondir la connaissance.
D’après Jean Vettraino
In Revue Projet (CERAS)
Bibliographie sommaire : (certains des écrits ont été publiés de façon posthume)